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Oral et oralité : perspectives didactiques, anthropologiques ou littéraires

Coordonné par : Saliha Amokrane et Claude Cortier

Communication et didactique de l’oral

Depuis les années 60-70 et l’avènement d’une didactique du français, nombre de travaux de recherche ont cherché à montrer l’importance de l’oral à la fois comme objet d’étude et objet enseignable.

« A partir du début des années quatre-vingts », écrit Kerbrat-Orecchioni (1998 : 54), « on voit se multiplier les colloques, ouvrages et numéros de revues comportant dans leur intitulé les mots «interaction», «dialogue », «conversation », « communication » (ibid.). « Communication devient le maître mot » en didactique du FLE (Billières, 2008), les méthodes audio-orales et audiovisuelles sont progressivement délaissées au profit de l’approche communicative. Si celles-ci accordaient à l’oral une place importante, elles visaient davantage les structures de la langue ou la correction phonétique que les fonctionnements de la communication.

Les méthodes s’enrichissent alors de documents plus authentiques ou plus réalistes, la vidéo se développe mais la variation inhérente à la pluralité des contextes francophones, conjuguée à un français de scolarisation qui reste très académique, l’afflux en France des familles et des jeunes allophones feront monter en puissance la didactique du Français langue seconde (FLS), où les besoins en communication scolaire doivent prendre le pas sur ceux de la vie quotidienne tandis que le bi/plurilinguisme des enseignants et apprenants complexifie l’enseignement/apprentissage.

Plusieurs colloques organisés en France feront date pour la didactique de l’oral : « Didactique de l’oral », Université de Montpellier (Maurer, 2002[1]), « L’oral dans la classe » (IUFM et université de Grenoble Stendhal, J.F. Halté et M. Rispail, 2005). En 2005, le colloque organisé à Lyon sur l’épistémologie et l’histoire du Français fondamental sous l’égide de Daniel Coste(cf. Cortier& Parpette, 2006 ; Cortier & Bouchard 2008 ; Mochet & Parpette, 2008) a permis  grâce à la richesse des publications qui en sont issues, de mettre en lumière à la fois l’histoire de l’oralité (Galazzi, 2008) depuis les débuts de la dialectologie et de la phonétique, jusqu’aux travaux récents sur l’intonation (Billières, 2008) mais aussi les aspects jusqu’alors méconnus de l’oralité cultivée ou populaire grâce aux enregistrements collectés durant l’enquête conduite par les chercheurs du Français élémentaire (Cf. Rivenc, P. Coste, D, Chevalier, in Cortier& Parpette, Documents, 36).

En 2007, un colloque co-organisé à l’université de Nancy par le CRAPEL et ICAR, Université de Lyon viendra consacrer l’intérêt de la constitution et didactisation de corpus en didactique du FLES et des langues. La publication qui en est issue Mélanges 31 (2009) est introduite par Boulton sous le titre « Documents authentiques, oral, corpus » et constitue un volume de référence qui fait le point sur les relations entre didactique de l’oral et authenticité. La transcription d’une table ronde où figurent les principaux organisateurs termine le volume et retrace une discussion stimulante sur l’utilisation des documents authentiques (Table ronde, Mélanges 31, 2009 : 276 et sv.) et le recueil de données en FOS et FOU.

Cependant, même si les pratiques orales sont désormais mieux connues et le champ légitimé en didactique des langues, que ce soit en expression et en compréhension, les didacticiens s’accordent à dire que dans le monde scolaire, l’oral peine à trouver sa place et que l’école demeure « scripto-centrée » (Halté, 2005) ou « scripto-centriste »(Bouchard, 1995). La didactique de l’oral, comme le rappelle Nonnon, bute sur des difficultés qui touchent à la mise en œuvre dans les classes : elle nécessite une forte implication des élèves et peut-être aussi dangereuse pour la posture professorale et la « face » des élèves, car elle s’appuie « sur un matériau en élaboration » et des « scénarios qui comportent une part d’imprévisible, en dépit des grandes régularités liées à la forme scolaire » (Nonnon, 2011).

Un matériau en élaboration, certes, mais aussi un matériau « protéiforme », en FLS et FLM, à la fois, « objet d’apprentissages langagiers, moyen d’apprentissages disciplinaires, ressort de l’activité réflexive et de l’élaboration cognitive, médium de la communication et de l’interaction à l’intérieur de la sphère scolaire et extra-scolaire, support de l’entrée dans l’écrit ». Sous le mot-clé « didactique de l’oral » on a vu multiplier les(re)formulations et les propositions:

- L’oral pour apprendre (Gadet, Le Cunff et Turco, 1998), l’oral réflexif(Le Cunff 2002, Rabatel, 2004) ;

- L’oral en interaction, « objet est moyen d’apprentissage » (Bouchard 2005) ;

- La relation/interaction/articulation de l’oral et de l’écrit (Delcambre, 2004 ; Blin, Lópezdel Hierro et Trottet, 2013; Garcia-Debanc et Delcambre, 2001).

- L’intérêt de la notion de genres de discours pour décrire et enseigner l’oral (notamment Dolz& Gagnon, 2008) ;

 

Deux thèses, l’une récemment soutenue (Yacoub, Université de Medea, juillet 2017) et l’autre en cours (Ould Benali, Université de Bejaia) montrent qu’à l’université algérienne, en dépit d’un module consacré à la didactique de l’oral, les enseignants sont insuffisamment préparés à cet enseignement, alors que l’exposé par exemple est une modalité d’évaluation couramment utilisée dans la plupart des modules enseignés. Du point de vie de l’expression, mettre l’accent sur l’accent sur les traits de l’oralité apporte une motivation pour les étudiants (Ould Benali, Cortier, 2016[2]). Et si un grand nombre de thèses de sociolinguistique consacrées aux parlers et pratiques langagières ont été soutenues dans le cadre de l’Ecole doctorale algéro-française (EDAF), on relève un nombre restreint de travaux en didactique de l’oral prenant en compte le plurilinguisme des pratiques langagières et la variation, à l’exception peut-être de O. Aci, 2016  et de K. Ferroukhi, 2014 (Université de Blida)ou de recherches s’intéressant aux représentations et au rapport entre ces deux ordres, montrant un oral dévalorisé en regard de l’écrit (Ammouden, 2012).

Oral et oralité

À la suite d’E. Lhote(1987), auteur de la notion de paysage sonore, de nombreux travaux soulignent l’importance de l’éducation de l’écoute ainsi que le rôle majeur de la prosodie dans l’activité perceptive et partant, la nécessité de passer à une didactique de l’oralité fondée sur la communication et le discours. L’oralité est caractérisée par des codes vocaux et mimo-gestuels. C’est une notion exigeante car elle implique l’individu tout entier (Lhote, 2001) et relève d’une approche anthropologique et culturelle.

La notion d’oralité se retrouve chez Chanfraut-Duchet (2002[3]) qui la définit comme « l'ensemble des faits et processus liés à une parole communautaire »[…], une parole qui « se déploie dans le cadre d’une tradition orale et/ou dans des contextes ritualisés » et se réfère à une mémoire identitaire.

La didactique de l’oralité (Lhote, 2001 ; Nonnon, 2011 ; Weber, 2013) permet l’articulation de l’oral à son contexte de production/réception, à l’identité et culture(s) des interlocuteurs, aux spécificités de leurs littéracies et littératures, aux pratiques et contraintes socio-langagières auxquelles ils font face.

 

Oralité et  littérature

Pendant longtemps, on a considéré l’oralité comme la manifestation dans le texte littéraire des éléments d’une culture de tradition orale : les proverbes, les chants, les devinettes, les contes, les poèmes, toutes ces formes de communications propres à un groupe social, communautaire. La présence également dans les textes de personnages doués de parole, porteurs de discours comme le conteur, le poète, le prophète.

L’oralité s’inscrit aussi dans le métissage linguistique qui caractérise les textes de la littérature africaine, maghrébine  par exemple, dans certains faits  langagiers relevant du registre oral. Elle est présente dans les différentes voix en texte.

De plus en plus, on estime que l’oralité ne se limite pas à émailler le texte de mots empruntés à la langue orale, mais qu’elle résulte d’un véritable travail sur la langue et que ceux qui la pratiquent doivent avoir une bonne connaissance de la langue utilisée et de la culture orale de laquelle il s’inspire. L’oralité est ainsi repérable au niveau de la structure d’ensemble des récits, des formes discursives choisies par l’auteur, des techniques littéraires dont use l’écrivain pour rendre compte de certaines formes de discours (épique, contique, incantatoire …), au niveau du rythme des phrases, de la ponctuation.

Tout ce travail sur la langue a comme souci de constituer ce territoire de langue propre à chaque écrivain. Quelques travaux de recherche ont pris en charge ces aspects, notamment Kazi-Tani Nora (1995) et Khelladi Khedidja (1999) et pour témoigner de l’intérêt porté à cette problématique, une journée d’étude intitulée « Oralité et altérité en questions » est prévue au département de français de l’Université d’Alger 2 durant l’année universitaire 2017/2018.

 

Les articles proposés s’inscriront dans les axes de la problématique et plus largement dans les questionnements suivants : 

- L’impact du multi/plurilinguisme sur l’oral et son enseignement ;

- L’oral pour apprendre, l’oral réflexif et les interactions comme objet et moyen d’apprentissage;

- La relation/interaction/articulation de l’oral et de l’écrit ;

- Les implications du passage de l’oral à l’oralité sur l’enseignement des langues ;

- Les représentations de l’oral et de l’oralité et leur prise en charge sociodidactique ;

- Littéracies, oral et oralité ;

- L’oralité dans la littérature et sa didactisation.